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04/10/2014

Soumettre l’Autre

 

 

 

 

Théâtre, Théâtre du Rond-Point, D. Lachaud, J. Arnold, C. Caro, V. de Carbonnières, B. Farge, Y. Martin.Imaginez un monde où certains humains sont destinés à la procréation et aux tâches ménagères « dans la sphère privée » et d’autres sont voués au travail extérieur, qui requiert d’eux, compétences et autorité. Imaginez que des « règles ancestrales », obligent les uns à convoler avec les autres au nom de la morale et avant que l’horloge biologique ne sonne le glas de leur fertilité.

J’entends déjà certains ricaner : « c’est banal ! » Sauf que Denis Lachaud invente, dans  Hetero, un univers sans femmes qui  distingue « les prétendants et les « promis », et où tout refus d’obéissance à ces lois, toute  déviance  est punie de mort. Alors la comédie bourgeoise devient tragique. La farce dérape et grince.

Le père (John Arnold) et le « papa » (Christian Caro) ont tout misé sur le Fils (Valentin de Carbonnières) qui est devenu « un homme fort, bien pourvu, fertile, sensible et intelligent ». Il doit « transmettre son nom », s’assurer que « sa descendance est bien le fruit de (sa) semence », sous peine d’être « pendu, brûlé ou lapidé » pour « conduite immorale. » Préoccupé par son avancement, le Fils n’a guère le temps de s'attacher à la recherche d’un « promis ». Mais un marieur, Négos (Bertrand Farge) s’en charge. Contre rétribution, évidemment. C’est un spécialiste !

Que le Promis (Yvon Martin) soit le Directeur de l’entreprise où le Fils travaille importe peu ! Puisque la coutume veut que le Promis, l’Autre (hetero), se consacre exclusivement à son foyer, ce directeur devrait abandonner sa position sociale et rentrer à la maison. S’il refuse de se soumettre, il est perdu.

C’est injuste ? Mais c’est la tradition.

Denis Lachaud a su, par le biais de l'absurdité, peindre un univers monstrueux mais très proche de celui qui règne dans certaines sociétés. "La pièce parle donc autant des hommes que des femmes." dit le metteur en scène. Et, effectivement, le discours emphatique masculin qu'on déverse sur Valentin et son promis, à propos du rôle des sexes dans la société, est le même que celui qu'on nous servit lors du mariage pour tous, du droit de vote pour les femmes, et de la séparation de l'Eglise et de l'Etat.

« Je suis le même que toi » dit celui qui aime et refuse l’ordre établi. « Nous sommes tous les deux les mêmes » répond l’Autre qui en pleure d’impuissance.

Dans la mise en scène Thomas Condemine, la fable vire au cauchemar.Théâtre, Théâtre du Rond-Point, D. Lachaud, J. Arnold, C. Caro, V. de Carbonnières, B. Farge, Y. Martin.La scénographie et les costumes de Camille Vallat passe de la rigueur des costumes masculins à la folie d’un bestiaire d’épouvante. La régie (Camille Faure) se déchaîne, (lumière : Thierry Fratissier, son : Thomas Sillard), les fenêtres s’ouvrent, des vagues de vomissures pénètrent dans le salon bourgeois, souillent les hommes et l’espace. Tout devient confusion et crime.

John Arnold compose un Père épouvantable, et Christian Caro sous un air bonasse fertilise cette terreur. Les jeunes sont deux marionnettes entre leurs mains, et Bertrand Farge s’est fabriqué une apparence diabolique inspirée par la silhouette de Jacques Higelin.

On n’est pas obligé d’y croire, mais on se félicite d’être né en France au XXe siècle ! 

 

 

Affiche © Stéphane Trapier

Photo © Giovanni Cittadini Cesi

 

Hetero de Denis Lachaud

Théâtre du Rond-Point

Jusqu’au 19 octobre

01 44 95 98 21

www.theatredurondpoint.fr

 

 

 

 

 

 

10/09/2014

La mémoire qui flanche

 

 

Théâtre, Théâtre du Rond-Point, Gérard WatkinsL’espace est d’une blancheur clinique. Au centre, un lit immaculé est recouvert d’un drap de soie, à jardin une chaise, à cour un départ d’escalier aux marches translucides (scénographie de Michel Gueldry). Debout, un vieil homme en pyjama,  prétend se nommer Antoine D (Philippe Morier-Genoud), et avoir 96 ans. Il répond à un homme plus jeune qui dit s’appeler Didier Forbach (Fabien Orcier), et est  en blouse blanche comme la jeune fille qui arrive et dit être Cécile Brest (Géraldine Martineau).

Antoine D a la mémoire qui flanche, il a oublié son nom de famille, « ne se souvient plus très bien » de son âge, ni de celui de ses enfants, n’a « aucune idée » d’où il vient, mais connaît par cœur les dates et les noms de l’Histoire, retient très bien les informations que lui donne Didier et discute point par point avec Cécile.

On comprend vite qu’il n’y a aucune démence sénile ici, mais une amnésie volontaire dans laquelle le vieillard s’est confortablement installé. L’attitude des deux « soignants » nous en convainc. Que veulent-ils démontrer par leur « méthode » brutale et hasardeuse ? Qui sont-ils ?

Avec Je ne me souviens plus très bien Gérard Watkins a écrit une fable en forme de procès, où les temps sont déconstruits, et où les souvenirs se télescopent. Cet  « interrogatoire au carrefour de la psychanalyse et de la garde-à-vue » est troublant pour le spectateur, car il le ramène à ses propres questionnements et à ses inquiétudes.

L’auteur signe aussi la mise en scène, et la musique. Il souligne les plongées dans la mémoire avec des projections d’images en noir et blanc : actualités guerrières, images de fraternité virile, représentations d’un passé choisi qui ne peut s’effacer. Philippe Morier-Genoud montre la fragilité du grand âge, mais fait vriller un regard moqueur face à Géraldine Martineau, et Fabien Orcier qui jouent avec la gravité de ceux qui pourchassent la vérité, l’erreur et l’injustice.

Ce théâtre-là risque de perturber, et c’est, je pense ce que souhaite Watkins.

 

 

 

 

Je ne me souviens plus très bien  de Gérard Watkins

Théâtre du Rond-Point

Jusqu’au 5 octobre 2014, 20h30

 

 

 

21/12/2013

Hollywood revisité

 

 

Amis des animaux sauvages, réjouissez-vous, dans El Tigre, il n’y a pas de tigre sur la scène du Rond-Point, mais de bien curieux personnages, venus des mythologies du cinéma et d’un endroit d’Argentine où des « cinéfolles » se perdent dans des chimères hollywoodiennes. Vous vous souvenez peut-être du Baiser de la femme araignée d’Hector Babenco où Molina le détenu  homosexuel réconfortait Valentin le politique torturé, en lui racontant des films de légende. Dans El Tigrela tragédie cède la place à une comédie loufoque chantée (composition musicale de Bruno Coulais)  et chacun est libre d’aimer à sa guise dans ce Hollywood revisité.

Théâtre du Rond-Point, Alfredo Arias, Musique, film, cabaretAlors, pourquoi le tigre ? Alfredo Arias nous apprend qu’il s’agit d’un endroit au Nord de Buenos Aires où, « une quantité d’îlots qui flottent au confluent du Gran Paraná, rivière descendant des Chutes d’Iguaçu jusqu’au Río de la Plata », dessinent la peau d’un tigre en vue aérienne. Là, « se dressent des maisons : type datcha russe, chalet suisse ou petit palais indonésien,  où se réfugie toute une population qui fuit la fièvre chaotique » de la ville, et dit-il, « J’ai su dès ma jeunesse que dans ces maisons de villégiature aquatique s’était établie une communauté de gays qui profitaient du calme et du dépaysement pour se perdre dans des rêveries cinématographiques, en se racontant les films de telle ou telle autre star, les imitant, et jouissant des dernières tragédies des reines du celluloïd. »

Dans la maison de Holy (Carlos CasellaThéâtre du Rond-Point, Alfredo Arias, Musique, film, cabaret qui ressemble à Joan Crawford dans Johnny Guitar), Dark (Denis d’Arcangelo), l’homme « à tout faire qui devient femme pour lui plaire » voudrait rejouer un film de Douglas Sirk. Une créature extravagante, Fatafatale (Alejandra Radano), qui ressemble à la fois à Blanche-Neige et à la Reine de Walt Disney, hante les lieux. Un orage sur le marais dérègle leur projet. Et l’Indienne Tota (Andrea Ramirez) débarque, bientôt suivie de Lana Turner (Arielle Dombasle), « revenue sur terre/pour s’envoyer en l’air », puis apparaît sa meurtrière de fille Lanita (Alexie Ribes), « emmerdeuse » jalouse, et enfin, Vampira (Alejandra Radano) sortie d’une soucoupe volante, tente d’emmener tout ce monde vers d’autres sphères. Mais force reste à l’Argentine…

Théâtre du Rond-Point, Alfredo Arias, Musique, film, cabaretUn quatuor à cordes, deux violons (Christophe Guiot, Elisabeth Pallas) un alto (Françoise Gneri), un violoncelle (Jean-Philippe Audin), accompagne les comédiens-chanteurs dans une scénographie de Elsa Ejchenrand et José Cuneo où les lumières de Jacques Rouveyrollis illuminent les îlots verdoyants de la découverte. Et les costumes de Pablo Ramirez suivent les caprices de ces personnages excentriques.

Femmes de rêves ou travestis authentiques, « dernières de la classe et reines des garces », les personnages se moquent des clichés et des idées reçues pour mystifier et mythifier à loisir.

En cette fin d’année, avec ces comédiens surprenants, ils assument mieux que tous les Pères Noël des Champs-Elysées et on rit plus qu’à Broadway.

 

Photos : © Alejandro Lopez

 

 

El Tigre d’Alfredo Arias

Théâtre du Rond-Point

Jusqu’au 12 janvier

Tel.  01 44 95 98 21 - www.theatredurondpoint.fr